En interaction AVEC LE CERVEAU
Dans son ouvrage "En finir avec les troubles digestifs", Marina Carrère d'Encausse nous explique comment le processus de digestion est en interaction constante avec le cerveau.
Le système nerveux entérique n’intervient pas uniquement dans le processus de digestion. Les nouvelles avancées de la recherche montrent qu’il exerce une influence sur tout l’organisme et qu’il est en « discussion » permanente avec le cerveau.
UN LIEN ÉTROIT
« J’ai l’estomac noué », « Ça prend aux tripes », « Te fais pas de bile » ou encore « Arrête de te mettre la rate au courtbouillon ». Bien avant que la science ne leur donne raison, les expressions populaires ont toujours établi un lien très étroit entre le ventre et nos émotions.
Nous savons depuis longtemps que notre cerveau, plus particulièrement ce que nous ressentons, peut avoir une influence sur notre système digestif. Qui n’a jamais souffert de maux d’estomac à l’approche d’un examen ou avant de prendre la parole en public ? Le stress provoque des troubles organiques et fonctionnels au niveau de notre système digestif. Plus récemment, les chercheurs ont découvert que ce phénomène allait dans les deux sens : notre système digestif exercerait aussi une influence sur nos émotions.
Jacques Brel, un bel exemple
Le trac n’a jamais quitté le chanteur de Ne me quitte pas et d’Amsterdam. Ce trouble anxieux artistique avait chez lui des manifestations digestives spectaculaires : il vomissait avant chacun de ses concerts. Il ne serait pas le seul, apparemment. La chanteuse Jane Birkin aurait déclaré souffrir parfois du même mal avant de monter sur scène.
LE NERF VAGUE
Le nerf vague prend racine à l’arrière du crâne pour descendre jusqu’aux intestins en passant par le coeur et les poumons. Étant le plus grand nerf crânien de l’organisme – il remplit de ce fait de multiples fonctions –, il est notamment la principale voie de communication entre le cerveau et le système digestif. Pour communiquer, ils utilisent des hormones et des neurotransmetteurs. Ces messagers chimiques permettent de transmettre des informations, comme « J’ai assez de nutriments, tu peux envoyer la satiété » ou « Vite, on a besoin d’énergie, demande à la main de saisir cette fourchette ». La sérotonine, la dopamine, l’acétycholine ou encore la noradrénaline constituent entre autres ce langage commun.
LA SÉROTONINE
C’est un neurotransmetteur qui contrôle notamment l’humeur. On la surnomme souvent « l’hormone du bonheur ». Sa diffusion est intimement liée à un sentiment de bien-être.
Les chercheurs se sont rendu compte que 95 % de la sérotonine était produite par le système digestif. Les intestins la synthétisent à partir d’un acide aminé qui doit provenir de l’alimentation : le tryptophane (présent dans plusieurs végétaux, dans les oeufs ou encore dans certains poissons). L’appareil digestif en a besoin pour rythmer le transit intestinal. Une petite partie de la sérotonine produite par le ventre passe dans la circulation sanguine et remonte jusqu’au cerveau. Elle pourrait jouer sur nos émotions. Ce phénomène participe à démontrer que le ventre influence le cerveau.
BOOSTER SA PRODUCTION DE SÉROTONINE
Si la sérotonine est fabriquée à partir de tryptophane issu de ce que nous mangeons, pourquoi ne pas favoriser les aliments qui en sont riches ? Nous pourrions ainsi peut-être nous passer de la prise de certains antidépresseurs qui agissent sur la sérotonine, en cas de dépression. Malheureusement, ce n’est pas si simple, car le tryptophane entre en compétition avec d’autres nutriments présents dans les aliments pour accéder au cerveau.
Les compléments alimentaires peuvent donc être une solution plus efficace mais, là encore, le tryptophane synthétisé est à l’origine d’un scandale sanitaire. À la fin des années 1980, il est commercialisé massivement sur le territoire américain sous forme de compléments alimentaires produits à partir de bactéries. S’ensuit une épidémie du syndrome éosinophilie-myalgie, une maladie musculaire entièrement induite par la prise massive de cette forme de tryptophane. À la suite de cet épisode dramatique qui a tué et rendu infirmes des milliers de personnes, le tryptophane est retiré du marché durant quinze ans. Récemment, des compléments alimentaires à base de tryptophane jugés inoffensifs ont été remis sur le marché mondial. Ils servent surtout à traiter des troubles bipolaires, du sommeil, dépressifs ou encore de l’hyperactivité.
Avant la naissance
Le lien qui unit intestins et cerveau commence bien avant la naissance, lors du développement embryonnaire. Les neurones intestinaux prennent forme dans la même zone embryonnaire que ceux du cerveau. C’est à la troisième semaine de grossesse que certaines cellules se détachent de la plaque neurale, qui deviendra par la suite le cerveau, pour migrer vers le tube digestif.
Les aliments riches en tryptophane
- Légumineuses
- Levure de bière
- Œufs
- Poissons
- Produits laitiers
- Riz complet
- Volaille
UN DOMAINE D’ÉTUDE EN PLEIN ESSOR
Comme c’est le cas pour le microbiote intestinal, la recherche sur le système nerveux entérique avance à grands pas. Ce domaine d’étude a fait d’importants progrès dans les années 1990, durant lesquelles les chercheurs ont découvert l’influence du système digestif sur notre cerveau et notre humeur.
Les équipes scientifiques sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à étudier le sujet. Il existe même une discipline médicale en plein développement : la neurogastroentérologie. À quand une psychanalyse digestive ? Freud a déjà théorisé l’inconscient, mais il n’en a pas défi ni la localisation
Pourrait-il se loger dans notre ventre ?
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